11 sept. 2012

Elle

— Depuis que tu as rencontré cette fille.

Il semble à Akaé qu'elle n'a même plus le courage de lui répondre. Mais cela ne parait pas troubler son frère, qui reprend de sa voix basse et curieusement douce :

— Lorsque tu m'as demandé ma guitare, l'autre jour, c'était une compo, pas vrai ?

Toujours pas de réponse. Il prend ça pour une confirmation, et poursuit :

— Il est beau ce morceau, un peu trop mélancolique pour moi, mais beau. Mieux que ce que tu faisais avant.
— Oui.

Elle a dit ça dans un murmure ému, la voix vibrant à cet unique mot.

— Tu rejoues, alors. Et tu es devenue meilleure.
 — Peut-être, réplique-t-elle, toujours avec le même ton faible.

Un ange passe.

— C'est bien. C'est bien que tu te décides enfin à faire quelque chose de ta vie. Je t'en voudrais, si t'avais abandonné la musique. Après tout, c'est la seule chose que tu sais faire à peu près correctement.

La seule chose, oui. Parce que de toute façon, se dit-elle, il n'y a rien d'autre dans sa vie, maintenant. Ça, et Kane. Même si ça, c'est de toute façon lié à Kane. Comme cette composition. Elle, et Kane. Elles.

Le plafond au dessus d'elle n'est pas exactement blanc. Plus une sorte de vieux beige délavé et fissuré. Pourtant elle s'y perd, s'oubliant dans la contemplation hébétée des longues rainures sombres, droites et brisées, qui se croisent, se fuient.  Et tout d'un coup, elle l'entend à nouveau. Non, bien plus que cela : elle le ressent en elle. Le rythme. La mélodie qui s'égraine note après note, pour former ce tout, si évident.

— Akaé.

Trouble. Akaé se redresse pour de bon, et grogne avec hargne, à son putain de frère qui l'appelle depuis le salon :

— Merde, mais quoi encore ?
— Quelqu'un. Pour toi, répond-il simplement.
— Qu'il vienne, rétorque-t-elle, sèche.

Cependant, elle consent à se relever et passer une jambe après l'autre par terre, lourdes. Et bien sûr, c'est elle.

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