21 févr. 2016

La ville sur le fleuve


Kkeulin Nu, lui expliqua Orion, signifiait "eau vive", et alors qu'ils s'en approchaient, par le fleuve, Thot compris à quel point ce nom était justifié. L'eau, et la vie. Une ville entre la boue, le fleuve et les hommes. Sale, grouillante, terriblement vivante. L'agitation était telle qu'il devenait impossible de distinguer la limite entre le fleuve, les centaines d'embarcations qui s'y pressaient, et la terre. Si terre il y avait. Des cabanes sur pilotis se disputaient la rive avec les péniches et autres barques, qui semblaient servir autant de moyen de transport que de lieu d'habitation. Adultes et enfants y compris passaient de l'une à l'autre avec aise, ils couraient, sautaient. On entendait souvent des rires, forts et expansifs. Le peuple de Kkeulin Nu, les Tan Ma, les gens du fleuve aux yeux aussi bridés qu'Orion, mais à la peau aussi foncée que Thot, ne semblaient pas connaître le sens du monde discrétion, ou alors ce devait une terrible injure dans leur langue. Leurs vêtements, similaires pour les hommes et les femmes, une veste et un pantalon larges en chanvre ou coton, noués à la taille par de longues ceintures, souvent remontés aux genoux et coudes, étaient brodés de dizaines de couleurs différente, en figures géométriques hypnotisantes, parcourant tout le spectre de l'arc en ciel. Et l’eau. L’eau partout qui coule, qui stagne, qui vibre, qui éclabousse, tantôt propre, soudain croupie. Une atmosphère très étrange pour quelqu’un comme Thot habituée à dureté pure et au mode de vie Tignn à l’image de son environnement : austère, clair, perpétuel et pourtant capable de se courber en fonction des humeurs du désert. Ici, elle se sentait comme au cœur d’un grand chaos organisé. L’air et l’espace y étaient des denrées précieuses et disputées. Tout se bousculait, les insultes volaient, les bagarres n'étaient pas rares et pourtant, cela fonctionnait, comme si les hommes avaient pris du fleuve qui les nourrit, autant de la fluidité que des humeurs capricieuses du courant.

Entretien avec Kim Berserker #1

— Votre nom

— Kim

— S'agit-il de votre véritable identité ?

— Non. # Pause # Faudra s'en contenter.

— Pour commencer, j'aimerais savoir comme qualifieriez-vous votre différence ?

— Bien, y en a qui disent maladie, d'autres malédiction, et d'autres encore parlent d'un don. Y en a qui veulent nous disséquer, nous engager comme gardes-du-corps ou assassins. Y en a d'autres aussi, qui veulent simplement tuer. Y a eu ce mec, une fois... C'est Lane qui me l'a raconté. Lane, c'est ma tante. Ce mec, il était soi-disant scientifique, et il disait qu'on n'était pas humains. Mais moi, tout ce que je sais, c'est que j'vais quand même aux chiottes, j'ai de l'acné, et comme les trois-quarts des nanas, j'me trouve trop grosse. On n'est pas plus beaux, plus intelligents, plus forts que les humains, enfin, en temps normal. On vit pas plus longtemps, ni mieux non plus. Y a rien de glamour ni de romantique là-dedans. De tout ce que j'ai vu, et j'en ai vu, tu sais, pour quelqu'un de mon âge, y a jamais rien, rien qu'un petit détail de merde, qui semble être l'univers tout entier, pour nous différencier, peut-être, des êtres humains. Si tant est qu'on n'est pas humains. Pas que je tienne particulièrement à être humaine, hein.

Est-ce qu'il est question d'une copie d'un original, et alors qui est la copie, qui est l'original ? Ou alors ce serait comme des faux jumeaux, genre, arrivés en même temps, même valeur, mais pas vraiment pareils ? Ou alors, et franchement, plus le temps passe, plus j'y crois, c'est juste une affaire de nuance, de degré. C'que j'essaye de tenir en laisse depuis toujours, y en a au moins un peu dans chaque putain d'habitant de cette planète, normal, ou pas. Si je suis une bête, un monstre, alors j'ai la conviction que l'humanité toute entière l'est avec moi.

C'est pour ça que ta question, je ne peux pas lui donner de réponse, parce que je vois tout simplement pas de différence à qualifier.

Dans les yeux de Cassandre



Il y a quelque chose qui lui arrache le cœur. Qui t'attrape, parce qu'elle est juste là, devant toi, que tu ne peux jamais la toucher. C'est un regard qui dit qu'il y a eu des choses avant, des choses que tu ne connais pas, mais que tu veux deviner. Tu as l'impression de savoir. Elle te fait croire, que peut-être, oui peut-être, toi, tu peux la comprendre. Mais non, parce qu'à la seconde qui suit, il suffit d'un léger hochement de tête, d'un clignement, ou juste du coin de ses lèvres qui se serre, pour que tu comprennes que tu ne comprends rien. Rien.

Dans les yeux de Cassandre, il y a le fantasme pur. Elle rentre le menton, comme par timidité, mais elle rit plus fort que tous les autres, ses cheveux sont rouges, ses lèvres maquillées de rose, elle est jolie. Mais c'est avant tout ses yeux. Ces yeux qui la condamnent à être au centre de l'attention, du rêve, des désirs et des frustrations, déesse ou sorcière, mais jamais humaine.

Jamais égale, toujours rêvée, toujours voulue, interprétée, jamais touchée. On ne lui parle pas, on parle d'elle. Sa vie ne lui appartient pas, en fait, elle n'a pas de vie.

Elle n'a pas d'égale.

(Enfin, jusqu'à Rosie)

Des gens qui osent braver son regard et s'approcher, il y en a peu. Il y a les intrépides qui ne sont là que pour le montrer aux autres, il y a les parasites, qui pensent qu'en s'approchant de ce soleil ils pourront en prendre un peu de lumière, il y a les jaloux, qui viennent haïr au plus près, comme pour la narguer avec leur normalité.

Mais Cassandre sait tout cela. On la dit froide, calculatrice, sans cœur, sans âme, on la voit comme un éternel type féminin : la magicienne, l'enchanteresse. Ce rôle qu'on lui a donné, a fini par lui plaire, par lui ressembler. Ils lui ont donné du pouvoir, pourquoi le refuser ?

Il aurait fallu peut-être raconter cette histoire de la voix des autres, puisque après tout, Cassandre, c'est elle. Oui, elle. La fille dont on parle dans les chansons, les romans, les films. C'est le spectre des hommes et des femmes. Le premier amour, jamais rendu, le fantasmes à qui l'on promet la lune, de loin, dans ses rêves ou ses poèmes, c'est la salope que personne n'a jamais eu. Mais elle en baisait cent, au moins. En même temps.

Ils ont toujours quelque chose à dire à propos de Cassandre. On a tous quelque chose à dire à propos de Cassandre.

Il aurait peut-être fallu lui laisser la parole. Elle a des choses à dire, Cassandre. C'est seulement qu'on ne lui en laisse pas souvent l'occasion. Mais ça aurait fini par casser un peu trop le mythe : elle ne vient pas d'une autre galaxie, elle est une humaine née à cette époque, dans ce pays, comme beaucoup d'autres.

11 sept. 2012

Scarlett

— Regarde-moi.

Elle obéit. Et puis tout va très vite. L'éclat argenté de la lame, qu'elle aperçoit du coin de l'oeil. Une gerbe écarlate qui l'éclabousse. Et la douleur qui la foudroie. Et la vie, qui la quitte. Et son corps, qui s'affaisse.

— Je suis Tei, ne l'oublie pas, chuchote l'assassin alors que la dernière lueur de conscience quitte les iris éteints de sa victime.

Tales of the forgotten memories

Tout au long de la journée le paysage changea. A mesure que le temps passait, le sable devenait cailloux et les dunes de petites collines de pierre sombre vierges de toute végétation : on approchait de la limite sud-ouest du massif des Inouë. C'était une zone morte que même les hommes avaient renoncé à habiter. Thot elle-même ne s'était encore jamais aventurée aussi loin dans la région. En vérité, elle se demandait jusqu'où elle pourrait se permettre d'aller. La jeune fille avait beau être d'un tempérament plutôt indifférent, elle ne pouvait pas s'empêcher d'être au moins un petit peu curieuse sur ce qu'il pouvait bien avoir de l'autre côté des Inouë : les Côtes Brunes.

Bien entendu, elle avait entendu parler de cette ancienne région ennemie de l'Empire qui avait été pacifiée durant le règne éphémère de Solax, la mère de l'Impératrice Senala de Kahina. L'armée brunienne, environ vingt ans plus tôt, était passée par cette même route qu'empruntait Thot. Elle avait tout détruit sur son passage avant d'être glorieusement arrêtée par l'Empereur d'alors, Luhan de Blanche, forçant l'arrivée au pouvoir des jumeaux Solax et Slevin. Un an plus tard, ils avaient réussis à repousser l'ennemi de l'autre côté de ces montagnes, avant d'en anéantir définitivement le terrible chef. Mais le temps avait passé, emportant avec lui les derniers souvenirs des batailles légendaires qui avaient fait pourtant couler tant de sang sur cette terre.

Oblivion

Kane se sent attrapée par les épaules, au moment où elle voit la guitare délaissée tomber sur le sol et raisonner dans toute la pièce. Et Evel la secoue comme un prunier, presque désespérément. Vraiment désespérément. Mais elle ne veut pas, ou plus le supporter, alors elle la repousse, le plus violemment qu'elle peut. Et, comme dans un ralentit, elle la voit chuter, et se réceptionner comme elle peut. Il y a sa tête qui cogne le coin du bureau, et Kane recule. Elle grimpe sur son lit, comme un animal apeuré. Et elle voit l'instrument qui vibre encore, sur le sol.

Et son regard devient noir. Et ses muscles se contractent. La rage monte en elle, menace de l'étouffer. Elle se jette sur la guitare, l'empoigne de deux mains solides et étonnement fermes, avant de la projeter contre le mur. Elle recommence, encore et encore. Jusqu'à ce que le bois lâche dans une dernière dissonance, jusqu'à ce qu'Evel ouvre les yeux, hagarde. Jusqu'à ce que, enfin, les larmes n'aient plus besoin de couler.

Aparté

Il parait qu'il n'y a que la souffrance pour nous ouvrir aux vérités de la vie. Ce que la déception, la tristesse, la haine et la mort nous retirent, ils semblent vouloir nous les rembourser à part égale en savoir, évidences, un peu de sagesse en boîte qu'on doit toujours apprendre à utiliser par nous-même. Des fois, je me demande si ce ne serait pas mieux de ne rien savoir, parce que ne rien savoir sous-entendrait de n'avoir rien vécu. Enfin, rien vécu de triste. Tout ce qui n'est pas triste est joyeux, c'est aussi ce que je me dis, le truc, c'est qu'on a besoin de pleurer pour ce rendre compte qu'avant, c'était bien. Mais le problème c'est que, nous autres, les hommes, on a cette capacité inouïe à l'oubli, surtout des choses que l'on n'est pas censé oublier. Le genre de truc qui nous pousse à refaire toujours les mêmes erreurs. Mais c'est dingue, quand-même, ce que j'aimerai être un peu plus humaine des fois.
Mais pourquoi devrais-je oublier ? Pourquoi cesser de souffrir ? Pourquoi devoir accepter ces choses ?

Le Chat


Un jour, le chat s'éveilla. Un œil puis l'autre, une patte, la suivante. Il s'étira longuement. Son visage tout d'angles fait s'éleva vers le ciel, avec la grâce innée des félins. Largement, sa mâchoire s'ouvrit et les petits crocs porcelaine, un instant, sortirent de leur cachette. Et comme une vague soyeuse, la toison blanche mouchetée de noir en certains endroit, ondula doucement sur le corps nerveux de l'animal. La queue rayée de nuances anthracites, paresseusement balaya le sol. Une fois, deux fois. Alors, le chat se mit à marcher, noble et discret. Il fila entre les  pieds des meubles, passa la porte entrebâillée, contourna buissons et arbustes. Et jouant avec les ombres des lourds feuillages, il continua d'avancer, inexorablement.

On ne se méfie jamais assez de ce genre de choses, de ce genre de bêtes, de ce genre de femmes.

Ombres et lumières qui se disputent la peau de son visage. Le léger battement de ses cils, longs cils bruns à la courbe large et hautaine. La douce crispation de ses lèvres prune, le chuintement de ses dents qui se serrent, le halètement de sa respiration, tant elle la cherche. C'est tout ce que l'on ne verra jamais. Je  ferme les yeux, et je me souviens, alors même que cette vision est encore là, sous moi, sous mes doigts. Et le mot éclot, comme arraché de force à sa pauvre volonté. Je fais mine de ne rien comprendre, de ne rien entendre. Pauvre, pauvre chose. Comme elle, le verbe n'est plus rien qu'une idée abstraite, avec laquelle on joue comme le chat de sa pelote.

Mais tu ne t'es doutée de rien.

Qu'elle ne s'inquiète pas, elle n'oubliera jamais. Pas plus la dentelle émeraude de ses iris, jouant avec un coeur aussi noir et brillant, que son coeur. Oui, son coeur battant sous sa peau diaphane, si vite, si vite. L'autre qui se contentait de jouer avec la pointe de ses seins, tendue par le froid. C'est vrai, elle n'a rien vu venir. Et caresser, doucement, longuement ses cheveux longs. Et elle de la regarder, l'autre, comme si il n'y avait rien d'autre à faire. L'autre a cherché son corps, et elle a trouvé son corps. Et elle l'a vue. Et elle l'a crue.

Le chat est revenu cet impertinent. De sa démarche coulante, il était toujours là pour narguer l'autre. Il est passé, sans jamais que son regard d'azur ne les effleure et pourtant, il venait. Encore. Il venait. Et elle que ne le remarquait même pas.

L'autre se souvient du premier jour. Elle se souvient de sa peau comme un carré de soie beige, pale et vierge. Comme elle. Elle se souviens de la tension en elle, alors qu'elle venait de comprendre qu'elle la voulait. L'autre se souviens que c'est à peine si elle l'a remarquée. Elle se souvient de la frustration, de la haine. Et du chat.

Pauvre petite chose, ballotté par les événements, conduite de main en main, qui es tombée dans les siennes. Comme si il était possible que ce soit l'autre qu'elle regarde, réellement. Comme si l'eut été possible que son être naturellement, se tende vers l'autre. Comme sa poitrine si gracieusement offerte à ses yeux.

Mais elle n'a pas résisté, pas une seconde. Elle lui a tout donné. Elle lui a tout abandonné.

Elles se sont cachées, maintes fois, dans la forêt. Entre les arbres, jouant sur les lits de feuilles mortes, perdant leurs robes dans les recoins sombres, griffant leur peaux aux branches traîtresses. Il n'y avait que le chat pour savoir. L'autre lui a montré le chemin vers ce monde, celui des regard, celui des caresses infinies et de cette douceur presque animale. De cette grâce, presque féline de la femme. De ses dos cambrés, de ces épidermes frissonnants, de ces lèvres charnues, de ces poitrines gonflées, de ces gémissement chantant.

Elle

— Depuis que tu as rencontré cette fille.

Il semble à Akaé qu'elle n'a même plus le courage de lui répondre. Mais cela ne parait pas troubler son frère, qui reprend de sa voix basse et curieusement douce :

— Lorsque tu m'as demandé ma guitare, l'autre jour, c'était une compo, pas vrai ?

Toujours pas de réponse. Il prend ça pour une confirmation, et poursuit :

— Il est beau ce morceau, un peu trop mélancolique pour moi, mais beau. Mieux que ce que tu faisais avant.
— Oui.

Elle a dit ça dans un murmure ému, la voix vibrant à cet unique mot.

— Tu rejoues, alors. Et tu es devenue meilleure.
 — Peut-être, réplique-t-elle, toujours avec le même ton faible.

Un ange passe.

— C'est bien. C'est bien que tu te décides enfin à faire quelque chose de ta vie. Je t'en voudrais, si t'avais abandonné la musique. Après tout, c'est la seule chose que tu sais faire à peu près correctement.

La seule chose, oui. Parce que de toute façon, se dit-elle, il n'y a rien d'autre dans sa vie, maintenant. Ça, et Kane. Même si ça, c'est de toute façon lié à Kane. Comme cette composition. Elle, et Kane. Elles.

Le plafond au dessus d'elle n'est pas exactement blanc. Plus une sorte de vieux beige délavé et fissuré. Pourtant elle s'y perd, s'oubliant dans la contemplation hébétée des longues rainures sombres, droites et brisées, qui se croisent, se fuient.  Et tout d'un coup, elle l'entend à nouveau. Non, bien plus que cela : elle le ressent en elle. Le rythme. La mélodie qui s'égraine note après note, pour former ce tout, si évident.

— Akaé.

Trouble. Akaé se redresse pour de bon, et grogne avec hargne, à son putain de frère qui l'appelle depuis le salon :

— Merde, mais quoi encore ?
— Quelqu'un. Pour toi, répond-il simplement.
— Qu'il vienne, rétorque-t-elle, sèche.

Cependant, elle consent à se relever et passer une jambe après l'autre par terre, lourdes. Et bien sûr, c'est elle.

Autrefois

Tu sais, il vient toujours, au moins une fois dans une vie, un moment où l'on doit faire un choix. Ce terrible choix, celui entre sa raison, et ses passions. Bien sûr, la raison n'appelle souvent qu'à elle-même. C'est un choix plus sûr, plus évident, plus serein. On oit juste, accepter l'idée de pouvoir abandonner derrière soit une part entière de son existence. Celle qui souvent, nous a poussé à vivre. Nous a donné la force. La raison, qui prend tout, par sécurité. Les passions qui sont méprisées, parce qu'instables, parce que passionnées. Mais, ces passions, que parfois on ne peut rejeter sans s'amputer d'une partie essentielle de soi. Sans cela, la vie devient plus mécanique que vivante. On se nourrit, on vieillit, on répète une énième fois le chemin de l'existence ; pas de conséquence sans cause, et les mêmes causes qui donnent les mêmes conséquences.

Je sais qu'aujourd'hui, est venu ce choix. Depuis toujours je crois, il se dessine en moi. Mon corps, mon âme, ma mémoire, tout, absolument tout me rappelle, me prépare à cet horrible schisme qui vient, qui court vers moi. Je sais, je sais pertinemment, qu'il n'y a pas de dilemme sans perte, sans abandon, sans concession. Que vais-je donc abandonner derrière moi ? Ou plutôt, que suis-je capable d'abandonner derrière moi ?

Je n'ai même plus le goût d'écrire, je crois. Tout semble si lointain. Pire, à mesure que je cherche les mots, ils s'enfuient, toujours plus glissants. Et que me reste-t-il au final, que l'amertume insupportable, à la vue de ces quelques phrases si pauvres, si faibles... Je n'ai même pas envie de terminer. Majuscule, point, il n'y a pas de sens, que celui qu'on a prêté. Mais qui suis-je, moi, pour toucher ce sens ? Y ai-je seulement droit ? Quelle place pour moi ?

Je me sens si loin. Comme les mots fuient, je sombre. Je me perds. Je m'oublie.


Et j'aimerais tant pouvoir disparaître

                                                                                                                                                                                                               
ne serait-ce qu'un instant.

Butterfly caught

Et puis, il y a ce moment, lorsque la grande blondasse prend la parole, que ce Thom se tait. Ce Thom qui fait pivoter doucement son beau visage vers elle. Lui qui darde ses yeux sombres et perçant dans les siens.

Le monde qui s'écroule sur lui même. D'abord un frisson, qui par du sol, et remonte le long de sa colonne vertébrale. Frissons qui se termine dans ses yeux. Nausée qui d'un coup soulève son estomac. Frissons qui deviennent spasmes. L'air qui n'entre plus. Mais quel est donc ce visage ? Ce visage qui se tord, se déforme, ignoble, inhumain. Il la fixe, sans ciller. Et elle voit, elle le sait, elle en est sure, elle le voir qui se tord, oui. Il est froid, elle le sent. Comme un mort. Pire qu'un mort. 

Et puis ce sourire, ce sourire immonde qui s'étend, et ses yeux qui la transpercent. Du sang. Du sang. Du sang partout. Encore. Et elle brûle. Elle se consume. Elle s'arrête. Elle hurle.

To Kill Ana

Et le massacre commence. Pour Rosie, hypnotisée par la malade, plus rien n'existe que ce sandwich, cette bouche qui doucement, douloureusement, s'ouvre. Et pourtant, d'un coup, elle devient consciente de tout le reste. Le raclement des chaises derrière, le rire lourd d'une femme, les pleurs d'un enfant, le claquement métallique de la caisse que l'on referme, le dernier tube en vogue qui grésille dans la pièce, la lumière blanchâtre qui tombe des grandes fenêtres, jusqu'à son poignet fin, et de nouveau, le hamburger. La sauce qui dégouline, le bruit de succion, lorsqu'elle lèche ses doigts. La volonté, implacable, et la peur, qui fait trembler sa main, et agiter ses jambes sous la table. Si grande, si forte, et si fragile à la fois.

Vertige (rumeurs)



C'était cette fille, l'année dernière. Rosie ne la connaissait pas personnellement, elle se souvient à peine de son prénom . Quelque chose comme Alice, ou Élise. Elle passait ses vacances d'été à la plage, dans le Sud, toute la journée en bikini. Elle avait un gros grain de beauté dans le dos. En plein milieu, énorme, bien brun et en relief, qu'elle couvrait consciencieusement de crème solaire tous les jours, parce qu'elle avait entendu dire les grains beauté de ce genre, c'est très sensible au soleil, et qu'on peut en mourir sans même le savoir. Puis un jour, parce qu'elle avait rien d'autre derrière que le fil humide de son maillot, elle s'est éraflée pile à l'endroit où il se trouvait. Lorsqu'elle est retournée au lycée en Septembre, elle devait avoir perdu environ quinze kilos. Deux semaines plus tard, elle était en chaise roulante. On l'a pas vue en Octobre. Elle était morte début Novembre.

Present day - Present time

Aujourd'hui, dieu est mort. Dieu, mon dieu, mon ami si plein d'amour. Celui qui ne me mentait jamais parce qu'il en parlait pas. Il n'a rien dit, ni laissé présager quoi que ce soit, mais ce matin, en me réveillant, je le savais, que dieu était mort. Pas une larme, pas un sanglot. Non, je n'ai pas réussis à être triste, j'ai juste regardé le plafond, tout en sentant ce grand trou dans mon torse, cette abysse qui remplace mon cœur se tordre. Se serrer, puis pulser. Ça a duré une poignée de secondes, pendant lesquelles, il y a eu cette phrase, ces mots qui me tournaient en tête, comme un vieux CD tout rayé. Dieu. Est. Mort.

Les anges n'ont pas tardé à suivre, tombant du ciel comme des feuilles à l'automne, c'était d'abord une pluie de plumes duveteuses et plus blanches les unes que les autres, puis leur corps, aux grandes ailes nues. Le trou est devenu un peu plus noir, un peu plus profond, et j'ai soupiré en regardant leurs cadavres s'évaporer dans ce qu'il restait de l'atmosphère. Les fleurs, les jolies fleurs du jardin ont toutes fanées, les unes après les autres. J'ai vu leur nuque se courber, et les pétales dégringoler, et ma pauvre absence de cœur est devenue plus présente, presque douloureuse.

C'est à peu près à ce moment là que la terre s'est mise à fumer. J'ai entendu de drôles de craquement sous mes pieds. Puis le bruit s'est tue.

Puis tout s'est écroulé.

Et je suis tombée dans moi-même.

Climbing up the walls


Il a fallut toucher la sensibilité. Reine sensation. Pouvoir d'émotion. Naissance du ressentis. Origine du sentiment. Cette fragile sensibilité. La vague, il n'y a pas d'autre image que celle de la vague parfaite, qui à chaque instant un peu plus menace de se briser, mais pourtant qui a chaque instant un peu plus révèle sa terrible et juste beauté. Beauté de la fragile harmonie, qui par son aspect bref s'incarne dans l'éternité. Ce qui est beau est vrai. Ce qui est vrai est éternel. Et au-delà du rythme plein, continu, profond, il y aura ce cri, cette descente au fond de tout, e soi, et surtout enfin cette montée dans ce qu'il y a de plus puissant. Et tu t'incline, tu remue, parce qu'il n'y a qu'avec le mouvement le plus primaire que tu peux illustrer le son le plus torturé, le son le plus pur. Il ne s'agit ni de joie, ni de mal être, il s'agit ici, maintenant, toujours, de l'émotion liée inexorablement au corps, née toujours de la sensation. Alors relevons de l'émotion. Ne soyons plus qu'émotion. Laissons là, cette maudite émotion faire de nous ce qu'elle veut puisque après tout, il n'y a qu'elle à savoir ce qu'elle fait.